Ce que peut faire, défaire, refaire la formation universitaire par la recherche, dans l’exercice des métiers du social

Lors d’un précédent colloque du Réseau Universitaire des Formations du Social (RUFS) à Nanterre en 2022, portant sur les transformations, perspectives et enjeux des partenariats entre établissements de formation en travail social et universités, la place de l’Université avait été interrogée dans la perspective des réformes à l’œuvre depuis les années 2000.

Le colloque 2025 du RUFS vise à comprendre comment les formations portées par les universités participent à la construction des positionnements professionnels, individuels et collectifs, dans le champ du social. Dans un déplacement réciproque, le Réseau s’interroge sur la manière dont les praticien·nes du social viennent refaçonner les pratiques universitaires de recherche. 

La sociologie des professions nous a appris l’importance d’une rhétorique reliant l’utilité collective, la science et la compétence (Paradeise, 1985), en offrant peu de perspectives de reconnaissance aux activités professionnelles du champ social. Plus récemment, la part belle faite aux activités prudentielles [1] (Champy, 2011) invite à revisiter les manières de saisir les professionnalités. Sans entrer dans le débat sur la reconnaissance de la profession (Vrancken, 2012), la place des savoirs universitaires et de la pratique de la recherche universitaire, confrontée à un travail social de plus en plus impossible, mérite d’être précisée. Face à la montée des incertitudes (Castel, 2009) et à l’usure professionnelle, se mettre en recherche et « prendre soin du travail de réflexion et d’analyse collective du travail social en acte » (Ravon et Ion, 2012, p. 93) est devenu essentiel. Investissant les espaces de problématisation et d’analyse ainsi que les espaces de délibération, comment les formations universitaires contribuent-elles à soutenir le travail social incertain ? Étayent-elles les situations singulières et complexes ? Aident-elles les territoires en quête de redéfinition ? Souhaitent-elles produire de nouveaux communs ? La socialisation professionnelle à la recherche infuse-t-elle dans les postures professionnelles, dans des intérêts collectifs, dans des formes hybrides où se déforment les prés carrés ? 

Outre la synthèse critique des connaissances déjà constituées en sciences humaines et sociales et la production en autonomie de connaissances nouvelles, la démarche universitaire de recherche pourrait s’inscrire dans une perspective de coproduction de connaissances situées avec les praticien·nes du social, en prise avec leurs enjeux d’action. Permettant de mieux saisir les environnements de travail, les transformations à l’œuvre, les expériences heureuses et malheureuses, les tensions sociales, cette posture permettrait-elle de gagner en autonomie, de percevoir les marges de manœuvre sur les objectifs et les finalités de l’activité sociale ? Indisciplinés ou disciplinés, critiques ou politiques, comment se mobilisent les savoirs spécialisés dans l’activité sociale ? Peuvent-ils prétendre à une dimension cumulative ?  

Être en recherche, se mettre en recherche (Bonny, 2020), allier les savoirs constitués aux démarches méthodologiques : il s’agira de saisir les traces, les empreintes, les signatures, la manière dont elles se conservent, se déplacent, se transforment voire font école dans et au-delà des murs des universités.

Praticien·es du social et universitaires, ancien·es étudiant·es et professionnel·les en reprise d’études, croisons nos expériences pour mieux comprendre ce que peuvent faire, défaire, refaire les formations universitaires. Les propositions peuvent prendre différentes formes : des enquêtes ciblées, des expériences hybrides, des savoir-faire collectifs, etc.


[1] Risquées, hésitantes, peu formalisées, les pratiques prudentielles recouvrent les manières de faire face, par approximations successives, à des situations dont la singularité ne permet pas d’appliquer mécaniquement les règles et les procédures habituelles.

 

 

Axes thématiques pour l’appel à propositions

 

 

Axe n° 1 : Expériences individuelles de la formation

Comment se traduisent et se développent les expériences acquises dans la formation au sein de son activité professionnelle ? Comment la recherche vient-elle soutenir ou au contraire déstabiliser ses activités professionnelles ? 

Cet axe thématique, par ce double questionnement, vise à interroger le processus de transfert de connaissances et compétences acquises ou consolidées dans un parcours de formation universitaire dans l’exercice de son métier. Ce qui vient questionner la nature de ce qui est transféré (de quelles connaissances et compétences s’agit-il au juste ?), mais aussi ce que signifie ''transférer'' des connaissances et compétences acquises en contexte d’apprentissages, et particulièrement au sein de dispositifs de formation à/par la recherche ? Convient-il de nommer autrement ce processus (le penser davantage en termes de traduction, d’appropriation, d’articulation...) ? Quelles peuvent être les conditions qui rendent possible, facilitent ce transfert ou au contraire qui peuvent l’empêcher ou le limiter ? Par quelles modalités ce transfert peut-il s’opérer pendant et après la formation ? Dans quelle mesure ce transfert s’opère à travers le croisement de plusieurs formes de savoirs (académique, pratique, expérientiel...) ? Autant de questions qui visent à rendre compte de la façon dont la formation universitaire peut exercer des effets (trans)formateurs sur ce que font les professionnel·les (leurs activités) et comment (quels positionnements et postures ils adoptent). Par ailleurs, il s’agit d’interroger le sens que peut (re)donner un·e professionnel·le à ses activités professionnelles par le prisme de sa formation universitaire, et en particulier sa formation à/par la recherche ? Sens qui peut être entendu dans toute sa polysémie : quelles significations et quelles directions données/engagées dans ses activités et postures professionnelles ? Avec quels impacts sur ses émotions (le rapport subjectif à son travail) ? Ce qui n’est pas sans questionner la place qu’un·e professionnel·le parvient à donner aux acquis de sa formation universitaire dans son quotidien professionnel : s’autorise-t-il et se sent-il autorisé à les mobiliser ? Les mobilise-t-il explicitement ou implicitement ? Pour ''lui/elle'' (pour ''panser'', penser et transformer ses pratiques et postures) ou pour/avec les autres (dans un souci de partage) ? Enfin, dans quelle mesure le sens qu’il/elle donne à sa formation universitaire au sein de ses activités professionnelles peut-il faire émerger le désir de prolonger son parcours de formation universitaire (en s’engageant par exemple dans un doctorat) ? 

Axe n° 2 : Collectifs de travail et essaimage

Comment les espaces et les collectifs de travail sont-ils façonnés par les retours de formation ? Quelles marges de manœuvre et quels déplacements sont-ils possibles ?

La formation universitaire n’exerce pas exclusivement des effets formatifs et transformatifs sur les pratiques, positionnements et postures des professionnel·les. Elle peut aussi, potentiellement, exercer des effets sur la vie d’une organisation (à l’échelle d’une équipe, d’un dispositif, d’un service, d’un établissement...) et sur les différents collectifs qui la composent. Par ses enquêtes de terrain et ses pratiques de recherche collaborative (recherches-actions, recherches-interventions...), la formation à/par la recherche peut donner forme à de nouvelles coopérations sur les lieux mêmes du travail. On s’intéressera dans ce deuxième axe à ces effets collectifs de la recherche engagée par la formation. Quelles sont les conditions de possibilité pour que ''l’essai'' (formation universitaire à et par la recherche) soit ''transformé'' sur le terrain professionnel ? Quels impacts sur la vie de l’organisation, voire de l’institution ? Quelles traductions pratiques peuvent-elles être observées chez les collègues ? Des marges de manœuvre partagées sont-elles ouvertes par le mouvement réflexif opéré par la recherche ? Des effets (trans)formatifs sur les environnements de travail des jeunes diplômés peuvent-ils être effectivement observés ? Si oui, en quoi les retours de formation viennent-ils perturber l’institué et le cas échéant porter cette force transformatrice de l’instituant ? Permettent-ils de déployer une pensée critique et ce faisant de participer au développement des organisations réflexives, soucieuses de soutenir le pouvoir d’agir de tou·tes ? Quel sens politique peut être conféré à la recherche, entre ses usages cliniques, critiques, éthiques, etc. ?

Inversement, on pourra interroger les résistances et autres obstacles à une appropriation collective des propositions issues de la formation universitaire à et par la recherche. Quid des préconisations laissées lettres mortes, des pistes jugées intéressantes et aussitôt abandonnées, des critiques entendues, mais non suivies d’effets, des compétences acquises non reconnues ? Quels usages cyniques des savoirs produits par la recherche universitaire ?

Axe n° 3 : Espaces post-formation

Comment dépasser le contrat de formation et sa temporalité ? Où peuvent se reconstruire des alliances et des croisements dans l’après-formation ? 

Cet axe propose d’examiner les formes continuées de collaboration et de réflexion au-delà du temps de la formation et notamment après des parcours universitaires (Licence, BUT, Master). Il s’agit d’examiner ici comment sont mis en place des espaces de réflexion ouverts (séminaires, journées d’étude) ou des espaces de collaboration (association adossée aux formations, partenariats) : accueil d’étudiant·es en stage ou en étude de terrain commanditée, développement des réseaux professionnels, intervention dans les formations en particulier pour du suivi de mémoire, sollicitation des chercheur·es académiques pour accompagner un travail d’équipe-projets ou analyse de la pratique, soutien par les enseignant·es à la publication des travaux réalisés en formation ou co-publication, élaboration de projets de recherche communs… À quels besoins ou demandes répondent ces formes de prolongation de l’expérience de formation ? Dans quel cadre ces espaces prennent-ils place ? Selon quels arrangements institutionnels, quelles modalités de financements et de reconnaissance peuvent-ils exister ? Dans quelle mesure ces espaces reproduisent-ils ou reconfigurent-ils les formats académiques et les places respectives ? Quelles sont les questions travaillées et mises en débats dans ces espaces et dans quel but (réflexivité sur les pratiques, partage ou développement de connaissances spécialisées sur des problématiques ou publics, soutien à une posture de formatrice et formateur...) ? Quelles sont les modalités éventuelles de diffusion, de valorisation ou de publication imaginées ? 

Axe n° 4 : Hybridation des formes d’intervention et de recherche

Comment s’alimentent mutuellement les activités d’intervention et de recherche ? Comment des déplacements mutuels s’opèrent-ils entre chercheur·es et praticien·nes ? 

Quels sont les dispositifs et les espaces qui permettent de produire une socialisation réciproque des practicien·nes et des scientifiques où chacun·e peut mettre en discussion sa compréhension des phénomènes étudiés ? Partant du développement d’enquêtes collaboratives combinant une visée de production de connaissances et une visée d’action, il s’agira d’interroger la manière dont certains outils et méthodes propres au champ d’action s’importent du côté de la recherche et de la formation par la recherche. Inversement, l’attention sera portée vers la manière dont les dispositifs scientifiques s’exportent comme modalités de la compréhension et/ou de l’agir. Ainsi, par exemple, les outils et méthodes de l’éducation populaire viennent renouveler les pratiques de recherche, accentuent les questions éthiques relatives à des productions attentives aux effets pour les personnes concernées, veillent à ce que le processus de l’enquête s’inscrive comme une forme d’intervention. Dans l’autre sens, quelles sont les configurations favorables au passage d’une logique gestionnaire à une logique de production de connaissances dans le champ social ? On pourrait par exemple évoquer la mobilisation des outils d’enquête et des formes d’écriture des sciences sociales (la monographie, l’ethnographie, le récit, l’étude de situations particulières…) dans le cadre de démarches d’évaluation de l’activité sociale, de comptes-rendus à destination des partenaires et financeurs… Collaborative ou dialogique, il s’agira dans cet axe de recueillir des propositions qui font la part belle aux méthodes et aux démarches collectives alliant recherche et intervention.

 

 

 

Format des propositions

Les propositions, d’une page maximum (500 mots, 3500 signes espaces compris), contiendront les éléments suivants : l’axe où s’insère la proposition, un titre, 5 mots clefs maximum, une présentation de chacun·e des intervenant·es. Il s’agira aussi de décrire le cadre de travail pour les praticien·nes du social et la formation concernée pour les ancien·nes étudiant·es, étudiant·es en cours de formation et les membres des équipes pédagogiques (type de diplôme et université). 

Deux dimensions sont attendues dans les résumés : l’une descriptive, l’autre plus analytique. La partie descriptive reposera sur des observations empiriques, des éléments factuels et contextuels. Au-delà du témoignage, la partie analytique mettra en exergue des notions, des concepts, des outils ou démarches référencés, permettant d’appuyer la mise en perspective et le questionnement sur des retours d’expérience. La présentation doit ainsi revisiter l’expérience de travail et/ou de formation par un questionnement problématisé étayant son analyse. Un référencement est demandé ; il n’est cependant pas attendu de revue de littérature complète sur le sujet de l’intervention.

Les propositions attendues sont principalement collectives, permettant de croiser les points de vue entre praticien·es du social et universitaires, étudiant·es en cours de formation, ancien·es étudiant·es et professionnel·les en reprise d’études.

Elles sont à déposer sur l’espace dédié via Sciencesconf (dans l'onglet "mes dépôts") pour le 15 avril 2025 au plus tard.

Références bibliographiques

Bonny Y., 2020, « Les formes sociales de la recherche. Recherche académique, classique et recherche praxéologique dans le champ de l’intervention sociale », dans Le travail social en quête de légitimité, Presses de l’EHESP, p. 33‑49.

Castel R., 2009, La montée des incertitudes. Travail, protections, statut de l’individu, Paris, Seuil.

Champy F., 2011, Nouvelle théorie sociologique des professions, Paris, Presses Universitaires de France.

Paradeise C., 1985, « Rhétorique professionnelle et expertise », Sociologie du Travail, 27, 1, p. 17‑31.

Ravon B., Ion J., 2012, Les travailleurs sociaux, Paris, La Découverte.

Vrancken D., 2012, « Le travail social serait-il devenu une profession ? Quand la « prudence » s’invite au cœur d’un vieux débat », Pensée plurielle, 3031, 2, p. 27‑36. 

Comité d'organisation

  1. Claire Autant Dorier, EC, Université Saint-Etienne
  2. Yves Bonny, EC, Université Rennes 2
  3. Sébastien Bruneau, RA, Université Rennes 2
  4. Pierre Buisson, IGE, Université Montpellier 3
  5. Claire Cossee, EC, Université Paris Est Créteil
  6. Christophe Dansac, EC, Université Toulouse 2
  7. Barbara Doulin, doctorante, Université Rennes 2 et ATER, Université Paris Nanterre
  8. Pascal Fugier, EC, CY Cergy Paris Université
  9. Amelie Grysole, EC, Université Le Havre Normandie
  10. Fanny Jedlicki, EC, Université Rennes 2
  11. Sylvie Jochems, EC, Université du Québec À Montréal, Canada
  12. Helene Join-Lambert, EC, Université Paris Nanterre
  13.  Marie Lesage, doctorante, Université Rennes 2
  14. Julie Pelhate, EC, Institut national supérieur formation et recherche pour l’éducation inclusive
  15. Pascale Perron, PAST, Université Rennes 2
  16. Enora Pollet, doctorante, Université Rennes 2
  17. Emilie Potin, EC, Université Rennes 2
  18.  Emmanuel Quernez, doctorant, Université de Rennes
  19. Elise Ramos, gestionnaire, Université Rennes 2
  20. Muriel Rannou, IGE, Université Rennes 2
  21. Bertrand Ravon, EC, Université Lyon 2
  22. Marianne Trainoir, EC, Université Rennes 2

Comité scientifique

  1.  Claire Autant Dorier, EC, Université Saint-Etienne
  2. Yves Bonny, EC, Université Rennes 2
  3. Pierre Buisson, IGE, Université Montpellier 3
  4. Charlène Charles, EC, Université Paris Est Créteil
  5.  Claire Cossee, EC, Université Paris Est Créteil
  6.  Christophe Dansac, EC, Université Toulouse 2
  7. Myriam Dubé, EC, Université du Québec À Montréal, Canada.
  8.  Pascal Fugier, EC, CY Cergy Paris Université.
  9. Jean-Alain Goudiaby, EC, Université Assane Seck de Ziguinchor, Sénégal.
  10. Amelie Grysole, EC, Université Le Havre Normandie
  11. Ruggero Iori, EC, CY Cergy Paris Université
  12. Fanny Jedlicki, EC, Université Rennes 2
  13. Helene Join-Lambert, EC, Université Paris Nanterre
  14. Sylvie Jochems, EC, Université du Québec À Montréal, Canada.
  15. Francis Lebon, EC, Université de Paris
  16. Marie Lesage, doctorante, Université Rennes 2
  17. Gilles Monceau, EC, CY Cergy Paris Université
  18. Julie Pelhate, EC, Institut national supérieur formation et recherche pour l’éducation inclusive
  19. Pascale Perron, PAST, Université Rennes 2
  20. Emilie Potin, EC, Université Rennes 2
  21. Emmanuel Quernez, doctorant, Université de Rennes
  22. Muriel Rannou, IGE, Université Rennes 2
  23. Bertrand Ravon, EC, Université Lyon 2
  24. Marianne Trainoir, EC, Université Rennes 2
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